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Jean-Paul DUNAND*

De la Genèse au génome Perspectives bibliques et scientifiques sur l’évolution, ouvrage collectif sous la direction de Lydia Jaeger, Editions Excelsis/Editions de l’Institut biblique, 2011, 183 pages.

De la Genèse au génome, perspectives bibliques et scientifiques sur l’évolution, ouvrage collectif sous la direction de Lydia Jaeger, Editions Excelsis/Editions de l’Institut biblique, 2011, 183 pages.

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Dans cet ouvrage collectif, qui édite les conférences 2010 du « Réseau des scientifiques évangéliques », le but des auteurs est de soutenir, d’une part, la théorie de l’évolution biologique et, d’autre part, la foi évangélique dans la création biblique. Sans surprise donc, ce double objectif situe le livre dans la continuité de deux ouvrages, l’un de Jean Humbert (aspect scientifique) et l’autre d’Henri Blocher (aspect théologique), publiés à la fin des années 1980. Le premier trouve un porte-parole élogieux en la personne du sociologue Sébastien Fath, et le second est lui-même un des auteurs. La thèse défendue est toujours, vingt-cinq ans plus tard environ, celle d’une création évolutive mariant des acquis scientifiques à des acquis exégétiques, au risque d’une surévaluation des uns comme des autres. Le lecteur est donc invité à assister à un mariage de convenance entre la création biblique et l’évolution darwinienne.

Il faut d’emblée saluer la témérité des auteurs à persister dans une ligne de pensée dialectique, synthétisant des contraires qualifiés d’apparents, qui se voudrait dès lors « apaisante ». Mais, telle une ligne de crête, cette démarche comporte des dangers à droite (par rapport à la théologie) et des chausse-trapes à gauche (par rapport à la nature des sciences et à leur philosophie), dont il ne paraît pas qu’ils aient été perçus ou, quand ils l’ont été, qu’ils aient été suffisamment pris en compte. Ainsi les quelques points lumineux aperçus en chemin (que nous ne manquerons pas de signaler, comme encouragement à avancer en leur prêtant davantage d’attention) n’éclairent pas la voie beaucoup plus cohérente qu’ils promettaient. Faut-il en faire reproche aux auteurs quand leur intention n’était surtout pas d’engager avec le créationnisme (dans lequel nous incluons le dessein intelligent) le débat qui les y aurait aidés ? Car, durant ces vingt-cinq dernières années, le créationnisme s’est répandu bien au-delà des USA, et a suscité des réflexions approfondies et des travaux de qualité, mais publiés en grande majorité en langue anglaise, ce qui explique qu’ils soient très peu connus du public évangélique francophone ; et pourtant plusieurs non-créationnistes, parfois même athées, ont exprimé leur intérêt pour ces travaux. Le créationnisme est toutefois un absent très présent, ne serait-ce que par la volonté des auteurs de se démarquer d’un ami qui pourrait être plus dangereux que l’ennemi avec lequel on ne saurait, a priori, être confondu. Ils ne devraient cependant jamais oublier qu’ils combattent dans le même camp que cet ami, pour ne pas se tromper d’adversaire en réservant à celui-ci tous ses efforts de sympathie sans en faire beaucoup pour entendre celui-là. A cet égard il convient donc de se féliciter de l’affirmation claire et bienvenue, faite dès l’introduction (p. 7), que cet ouvrage n’a pas la prétention d’exposer de façon magistérielle « la position évangélique sur l’évolution » ni de « clore le débat » ; il en est pris acte.

Nous voudrions, d’abord, dire notre accord sur « le fait que le (néo-)darwinisme est la théorie cadre de la biologie moderne » (p. 7) ; et ajouter aussitôt qu’il n’y pas là de quoi s’incliner, une fois analysée la signification de ce fait. Nous y reviendrons plus loin. Il n’est donc pas surprenant que le généticien (Pascal Touzet) et le paléontologue (Marc Godinot) présentent leurs observations, du génome et des fossiles, dans ce cadre qu’il faut qualifier de cadre obligé. En sortir, si peu que ce soit, ne serait pas admis ni même toléré par le sérail académique, en vertu de l’équation axiomatique qui y a cours : science biologique = évolution néo-darwinienne (alors que celle-ci n’a joué aucun rôle dans les découvertes, par exemple de l’A.D.N. et du génome). En conformité avec elle, les deux auteurs concluent donc que les faits confortent, voire prouvent la théorie de l’évolution et qu’elle-même les explique, fermant ainsi un cercle « scientifique » malgré les réserves qu’ils ont cependant émises çà et là. Or la remarque de Marc Godinot n’est pas anodine qui souligne le caractère historique de la paléontologie qui n’est pas une science expérimentale et ne peut avoir la même valeur que les sciences dites dures (p. 80). Et la même réserve doit être faite quant à la reconstitution historique de la diversité biologique par la théorie de l’évolution. Pascal Touzet en est peut-être conscient quand il observe que « nous n’en sommes encore qu’au balbutiement dans notre compréhension de l’émergence d’un caractère adaptatif, du nombre de gènes impliqués, et du type de mutation recrutée » (p. 65). Balbutiement est ici un euphémisme. Néanmoins, après avoir en outre exprimé diverses questions restant ouvertes, il s’empresse d’ajouter qu’elles ne remettent pas en cause le paradigme central, c’est-à-dire la théorie néo-darwinienne de l’évolution (p. 66).

Cette résistance du paradigme, en vigueur, à l’absence de faits favorables ou aux faits contraires observés, a été analysée par le philosophe des sciences Thomas Kuhn. Elle a inspiré au botaniste spécialiste de physiologie végétale G. Amzallag un livre au titre évocateur dont j’extrais la citation suivante de Francis Bacon : « L’entendement humain, une fois qu’il s’est plu à certaines opinions (parce qu’elles sont tenues pour vraies […]) entraîne tout le reste à les appuyer et à les confirmer ; si fortes et nombreuses que soient les instances contraires, il ne les prend pas en compte, les méprise ou les écarte et les rejette par des distinctions qui conservent intacte l’autorité accordée aux premières conceptions. »

Après avoir constaté le fait de l’hégémonie – d’autant plus soigneusement protégée qu’elle est menacée et pas seulement par le créationnisme – du néodarwinisme en biologie, il convient maintenant d’analyser sa signification. La première chose à saisir est que la théorie de l’évolution en biologie sert de caution scientifique, conformément à l’équation précitée, à une conception évolutionniste du monde qui ne peut pas se permettre d’y renoncer. En effet, elle alimente un récit des origines culturellement dominant mais fragile (on n’évince pas aussi facilement qu’on le voudrait le récit révélé des origines). Or nous estimons tout à fait illusoire la distinction « cruciale » (p. 8) que les auteurs s’efforcent de faire entre évolution et évolutionnisme, comme si la science était une forteresse d’objectivité à l’abri de toute influence subjective extérieure : une vision mythique de la science aujourd’hui périmée.

Cette tentative de distinction est fréquente chez ceux qui refusent de choisir entre les concepts, réellement et non pas apparemment antinomiques, d’évolution néo-darwinienne naturelle et de création révélée surnaturelle. Philip E. Johnson, qu’on ne présente plus, a pu écrire à ce sujet : « A mon avis la plupart des évolutionnistes théistes admettent, comme scientifique, la thèse selon laquelle la sélection naturelle a accompli la création, tout en essayant de repousser la thèse métaphysique connexe selon laquelle la compréhension scientifique de l’évolution exclut tout dessein et tout projet. Le problème, avec ce compromis, est que la thèse métaphysique n’est pas simplement décorative, elle est le fondement même de la thèse scientifique.» Autrement dit, le naturalisme qui fonde la théorie de l’évolution biologique n’est pas une dérive philosophique que l’on pourrait dénoncer, il en est le principe.

L’intuition forte de Johnson est confirmée, sous une forme différente mais proche, par la philosophie des sciences selon laquelle, contrairement à l’idée courante que la science est essentiellement empirique, aucune science ne peut être pratiquée sans une théorie préalable qui exprime nécessairement une certaine conception métaphysique du monde indépendamment des faits dont l’observation pourra être considérée ensuite comme un appui ou un démenti. Pratiquement, et a fortiori dans le cas de faits non-reproductibles, ils auront tendance à être toujours interprétés dans le sens de la théorie pour l’appuyer à cause de la force de résistance du paradigme (précédemment constatée). La déclaration fameuse de Dobzhansky (p. 7) ne dit pas autre chose ! Elle décrit avec exactitude la façon dont les biologistes interprètent des faits bruts en eux-mêmes neutres : à la lumière de l’évolution, c’est-à-dire de la descendance avec modification, « point-clé de la théorie » (p. 56). La prétendue capacité d’autocorrection de la science darwinienne est en réalité une volonté de faire absorber par la théorie de l’évolution, sorte de trou noir, tout fait nouveau, fût-il défavorable. Tout cela est bien connu ; de plus en plus de voix, y compris non-créationnistes, dénoncent cette domination de la théorie darwinienne sur les faits, et les « histoires comme ça » qu’elle entraîne. Néanmoins, après l’avoir signalé fort à propos et citation à l’appui, une théologie de compromis ne peut que s’empresser de voler aussitôt au secours de la théorie (p. 133).

La démonstration du caractère poreux de la cloison, que les auteurs voudraient dresser entre évolution et évolutionnisme, est faite quand il est affirmé que « l’unité de l’univers, qu’éclaire la théorie de l’évolution, est une valeur théologique » (p. 144). La pente de la métaphysique sous-jacente à la théorie de l’évolution entraîne naturellement à ce glissement évolutionniste de la biologie vers l’univers entier. Mais quelle lumière peut-elle venir d’une théorie dont il faut finalement reconnaître qu’elle est un échec quant à un savoir sur les origines évolutives auquel elle prétend ? Ne serait-ce pas parce que les origines ─ horresco referens ─ ne seraient pas en fait évolutives ? « Nous devons avoir l’image d’une nature évolutive et complexe. Or, si nous savons bien cela maintenant, en réalité nous ne connaissons presque pas les mécanismes qui font cette évolution. […] Qu’est-ce qui détermine l’évolution biologique ? La théorie darwinienne est très partielle. […]
On ne voit toujours pas vraiment quelle théorie pourrait expliquer l’évolution. » Ainsi la théorie de l’évolution maintient-elle fermement une évolution qu’elle est toujours incapable d’expliquer! Mais alors le soubassement d’une théologie de la création évolutive se dérobant sous elle, elle ne peut que s’effondrer à son tour, d’autant plus que les causes secondes (p. 132) qu’elle invoquait un peu précipitamment lui échappent également. Le rappel, par Lydia Jaeger, que « toute science est provisoire » et que « l’histoire des sciences est un vaste musée des théories abandonnées » (p. 160) ne présage-t-il pas le grand risque de naufrage que prend une théologie de convenance à l’évolution ?
L’échec de la théorie de l’évolution était prévisible. Il était inscrit dans le titre de l’ouvrage qui en 1859 a fondé cette théorie : De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle (la raison du soulignement de deux mots en gras apparaîtra ci-après ; c’est leur rapprochement qui a fait de l’auteur un père fondateur dont on s’efforce, difficilement, de maintenir le statut quasi canonique attribué à sa pensée). Jusque-là les savants avaient étudié la philosophie naturelle, comme on disait, étant entendu que son champ était la nature observable dont l’agencement admirable (qu’illustre aujourd’hui le génome) avait pour source un « être intelligent et puissant » et dont l’origine a fortiori provenait du Créateur (Newton cité p.117 ; voir aussi, p. 135, un point lumineux mais inexploité : le rappel que les principes ayant favorisé l’essor de la science moderne se fondaient sur le Dieu créateur de l’Ecriture). Et les Kepler, Boyle, Newton et, plus tard, Faraday, Pasteur, Maxwell etc. en étaient persuadés ! Les fondateurs de la science moderne avaient tous une théorie créationniste, quant aux origines. Seule la création révélée a le pouvoir de faire naître la nature. Ce pléonasme est des plus utiles pour saisir que la nature a nécessairement une origine surnaturelle. Tirant son origine d’une production surnaturelle, selon ses espèces, la nature vivante a seulement une capacité subordonnée de reproduction naturelle, selon ces mêmes espèces ; ce qui est amplement confirmé par les variations intra-spécifiques préservant toujours l’espèce, tout comme la barrière de l’interfécondité, tout comme la sélection artificielle. Et les exemples donnés pages 63-64 confirment qu’une sélection naturelle efficace tend toujours à conserver l’espèce (bactérie, souris etc.) jamais à la transformer. La résistance bactérienne aux antibiotiques, invoquée ici et souvent comme exemple d’évolution se produisant aujourd’hui, devrait cesser de l’être tant elle prouve que la mutation/sélection a consisté à préserver l’espèce bactérie, menacée par l’antibiotique, et non pas à la transformer en autre chose. En faisant entrer la question de l’origine dans le domaine des capacités de la nature, Darwin a commis une erreur fatale, dont la biologie, réduite aux faits, ne souffre guère parce que la théorie de l’évolution, modèle interprétatif a priori, n’y joue aucun rôle.

Nous admettons volontiers que, y compris dans le cadre d’une épistémologie de la création achevée et conservée (les deux mots et leur ordre comptent), la pratique du travail scientifique recoure à ce que l’on appelle un matérialisme méthodologique. On a pu ainsi aller très loin dans la connaissance du couple créé matière/énergie, assez loin dans celle du second couple créé espace/temps, sans qu’on puisse néanmoins prétendre avoir atteint une connaissance exhaustive dans aucun des deux cas. Quand il a fait entrer la question de l’origine dans le domaine des capacités de la nature, Darwin a cru pouvoir la faire entrer ainsi dans le champ de la science. Or le matérialisme méthodologique qui y est pratiqué est incapable de décrire, encore moins d’expliquer les origines. Il bute ici sur sa limitation intrinsèque qu’a bien fait ressortir le dessein intelligent qu’évoquait déjà Newton (p. 117), parce que l’origine des vivants comme du reste est inexplicable dans un cadre matérialiste, c’est-à-dire en dehors de l’action intelligente et du pouvoir surnaturel de Dieu créateur.

Il convenait que cette recension accordât la première place à la partie scientifique de l’ouvrage pour une raison évidente qui provient du choix initial, erroné à nos yeux, fait par les auteurs d’accepter « le (néo-)darwinisme comme une théorie biologique bien établie » (p. 147). Les conditions dans lesquelles a été développée la partie théologique dépendent de cette option dont l’influence va constamment s’exercer, alors qu’en fait elle est injustifiée puisque la théorie de l’évolution… n’explique aucune évolution, pour résumer brutalement ce que nous venons de voir. En droit non plus, cette influence n’aurait pas dû avoir de poids, sauf à sous-estimer la compétence exclusive de l’Ecriture à révéler avec clarté ce que furent les origines, y compris donc leur modalité. Nous y insisterons plus loin. Par conséquent, la théologie de la création évolutive se retrouve avec des pieds d’argile. D’où la question qu’impose cette situation inconfortable dont aucun évangélique, y compris créationniste, ne peut se réjouir : la théologie n’aurait-elle pas eu le plus grand intérêt à rester très circonspecte au lieu de s’adonner à un concordisme évolutionniste téméraire (baptisé « convenances remarquables », p. 142) dans lequel, contrairement aux attentes, elle ne peut que perdre de sa crédibilité ?

Comme par contagion, ce concordisme la fait recourir à la même rhétorique floue que le darwinisme, au détriment de la rigueur de raisonnement à laquelle un Blocher avait ailleurs habitué ses lecteurs (nous pensons notamment mais pas seulement à son ouvrage sur Le mal et la croix). Par exemple, quand il est admis que la théorie de l’évolution sied parfaitement à l’athéisme, ce constat est aussitôt tempéré parce qu’il « se pourrait que l’alliance entre l’évolution et l’athéisme (qui demeure le fait largement majoritaire) soit surtout circonstancielle » (p. 131, c’est moi qui souligne). On retrouve ici la conséquence d’une prémisse, fausse et artificielle pour peu qu’on y réfléchisse, prémisse réitérée à la page 127, où la théorie de l’évolution « se distingue nettement de l’évolutionnisme ». Par exemple, de la critique, belle et forte, du hasard (p. 135), la conséquence n’est pas tirée qu’elle a plus qu’ébranlé, qu’elle a démoli un pilier du darwinisme. Par exemple encore du rejet justifié d’un quelconque retrait de Dieu (p. 142-143), il n’est pas clair qu’il doive s’appliquer davantage à la conservation providentielle du créé qu’à sa création même où la présence de Dieu est trop éclatante pour être contestée. Par exemple, enfin et surtout, quand il est fort bien vu que « le conflit [avec l’évolution] éclate avec la création selon la Bible : avec les modalités qu’en révèle l’Ecriture sainte, surtout dans les deux premiers chapitres de la Genèse » car « sur tous ces points, la théorie de l’évolution pose le contraire » (p. 137) – on s’attendrait à la conclusion logique que la conciliation est impossible ; pas du tout. La difficulté est balayée comme nulle et non avenue, parce qu’elle « tient à une lecture peu perspicace de la Genèse ». L’incompatibilité constatée peu avant n’était-elle pas d’une grande clarté et n’exigeait-elle pas que des deux autorités en conflit, la Bible ou Darwin, la seconde cédât ? Mais, pour tenir à tout prix la théorie de l’évolution, il faut donc abandonner la lecture littérale de la Genèse, pourtant acceptée par Newton et une longue liste de savants, puisqu’elle est désormais coupable de contredire Darwin. Il faut lui préférer une autre lecture, dite perspicace, qui complaise à la théorie darwinienne.

De même, le point lumineux du premier paragraphe du point 2 (p. 132) est ensuite entouré de nuances qui le réduisent à une apparence et finalement l’étouffent, tant est grande la préoccupation de ne faire ombrage, en aucun cas, à la théorie de l’évolution qui « éclaire » non seulement l’unité de l’univers (p. 144) mais aussi la temporalité (p. 145). Dans tout ceci est récolté le produit insatisfaisant d’un mélange de deux logiques mutuellement exclusives, celle du « Dieu biblique […] d’abord créateur ─ le rôle définit sa divinité même » (p. 132, c’est moi qui souligne là où ce point lumineux a son plus grand éclat) et celle du modèle darwinien foncièrement naturaliste (p. 130). Cette inconséquence peut être qualifiée de douloureuse par rapport à la solidarité, voire à l’amitié, qui lie les évangéliques entre eux, et par rapport au fait que la doctrine de la création est « cruciale pour le témoignage chrétien » (p. 5). Mais que signifie le qualificatif douloureux appliqué au rejet de la finalité par la théorie de l’évolution (p. 146), sinon une admiration telle pour celle-ci qu’elle l’avait, imprudemment, assimilée à la vérité comme peut le suggérer le texte biblique mis en exergue (p. 127) ?

L’ouvrage avait commencé (p. 9-43) par une étude contextuelle du premier chapitre de la Genèse de M. Richelle, qui est assurément érudite, comme on pouvait s’y attendre, mais qui pour le fond reprend fidèlement l’exégèse dite littéraire promue par Blocher voici plusieurs années. M. Richelle situe, avec beaucoup d’éloges à son auteur taxé de génie, le récit de Genèse 1 dans le genre littéraire ancien des cosmogonies et conclut qu’il enseigne principalement « le monothéisme et la transcendance de Dieu » (p. 42). Il avait toutefois auparavant catégoriquement exclu que le récit enseignât « une description de la chronologie et du mode opératoire de la formation de l’univers » (p. 40-41). Dans ce cas, on ne comprend plus quel sens peut avoir la transcendance de Dieu, ainsi exténuée, ce qui est un oxymoron. Quant au mode opératoire, lisons-nous le même texte ? Le récit ne se contente pas de dire que Dieu a créé (verset 1) ; dans les versets suivants, il précise à sept reprises que chaque création opérée fut l’effet de la Parole de Dieu. « Car il parle et la chose arrive, il ordonne, et elle existe » (Psaumes 33:9), texte biblique dont l’absence criante dans tout l’ouvrage ne peut étouffer la voix forte. Quant à la chronologie, s’il est exact que « la notion de création, dans sa définition classique, ne précise [pas] la date » (p. 149), on n’eût même pas songé qu’elle dût le faire si un fait aussi primordial et fondateur que la création n’avait pas été affaibli en idée ou en notion. Car la création de l’univers est
aussi celle du temps, ce que le récit affirme : la première Parole créatrice de Dieu ne crée pas seulement la lumière mais aussi le jour 1 (nombre cardinal en hébreu) qui sera suivi d’un second, troisième, etc. (nombres ordinaux en hébreu) parce que le temps, une fois créé, implique dorénavant une succession en vertu de sa flèche.
La pression exercée par les « conceptions scientifiques modernes » (le pluriel est inapproprié car une seule est concernée, la conception darwinienne et sa contagion à d’autres disciplines) est constante ici comme ailleurs ; alors la solution trouvée consiste à dire qu’il n’y a pas lieu à une confrontation avec l’Ecriture. Il suffit de nouveau d’écarter l’interprétation littérale du récit (p. 34). Jolie litote pour dire que les mots qu’elle emploie ne voulant pas dire ce qu’ils disent, l’Ecriture n’a ici rien à dire et doit donc se taire. N’eût-elle pas, en effet, contesté la théorie de l’évolution, de conserve avec d’autres sources autorisées y compris scientifiques, comme nous avons pu l’indiquer plus haut ? Et ne serait-ce pas la conscience évangélique, malmenée, qui fait heureusement mais un peu tard entendre sa petite voix quand il est rappelé : « En cas de conflit, il ne revient pas de façon unilatérale à la théologie de toujours céder face à la science » (p. 160) ? Ou encore quand il est fait « une invitation pressante à rester humble » (p. 161). L’invitation concerne la pratique de la science, mais peut s’appliquer aussi à une exégèse qui se voudrait scientifique. Or l’exégète, a fortiori s’il est attaché à l’inspiration divine de la Bible, doit garder à l’esprit que toute exégèse et surtout celle-là sera nécessairement réductrice, parce que, si savante soit-elle, elle ne peut porter que sur les constituants humains de l’Ecriture, c’est-à-dire sur une moitié de sa double nature de Parole de Dieu et de parole humaine.

L’auteur, tout en privilégiant l’interprétation littéraire, est obligé de reconnaître que l’interprétation littérale « fut largement répandue au cours de l’histoire de l’Eglise, adoptée par les Réformateurs » (p. 32, voir aussi p. 137). Une question se pose alors. Un an après avoir célébré les 500 ans de la naissance de Calvin (mais presque aussi bruyamment les 200 ans de la naissance de Darwin et les 150 ans de la publication de l’Origine des espèces), des évangéliques français pouvaient-ils ici dédaigner sans sourciller ce docteur inégalé en théologie biblique ? Le rappel du caractère provisoire des théories scientifiques, déjà mentionné, et le choix de l’interprétation littérale de la Genèse fait par la Réforme n’auraient-ils pas dû tous deux retenir la théologie évangélique de se livrer à une révision de ce choix ? Il a été soutenu, avec une grande pertinence à notre avis, que la Réforme calviniste avait favorisé l’essor de la science moderne précisément à cause de son interprétation littérale de l’Ecriture qui entraînait que le texte de la Genèse dît ce qu’il voulait dire et décrivît ainsi la réalité – au lieu d’en être des figures allégoriques – d’événements dont Dieu fut non seulement le seul auteur mais aussi le seul témoin. Par conséquent, la cosmogonie relève, logiquement, de la compétence exclusive du Créateur, qui est aussi auteur de l’Ecriture – quoiqu’il puisse y avoir, aujourd’hui comme hier, beaucoup de cosmogonies non révélées (explications de l’origine de l’univers). Et dans ce cas, il est rationnel de considérer que, dans le récit de Genèse 1, la part de la Parole de Dieu pèse particulièrement lourd – et non pas quelque procédé littéraire humain d’anthropomorphisme (p. 35).

Il en va de même dans l’affirmation de la résurrection de Jésus-Christ – laquelle est comme le prototype (prémices) de la seconde création à venir – où l’argument définitif s’énonce ainsi : selon les Ecritures (1 Corinthiens 15:4). Puis, une fois créé, donné, l’univers – alors et alors seulement la cosmologie (étude de ses lois physiques) peut être pratiquée. Si la cosmogonie est la condition de la cosmologie, l’inverse n’est pas vrai. Quand on tente de remonter de la seconde, accessible, à la première, hors de portée humaine, même la physique théorique bute sur un mur, dit de Planck. Ecrire que « le Saint-Esprit [ait] choisi de nous livrer une cosmogonie » (p. 41), parmi d’autres mais littérairement plus élaborée, semble bien faible. Faut-il en être surpris ? Quoique l’auteur s’en défende, l’interprétation littéraire ouvre trop opportunément la voie à la défense et à l’illustration de l’évolution néo-darwinienne développée dans la suite du livre, pour ne pas être soupçonnée d’être une exégèse introductive ad hoc. Le Saint-Esprit n’exprimerait-il pas plutôt exactement, par la bouche de l’auteur biblique, la seule cosmogonie possible, tout autre récit des origines, même à prétention scientifique, étant finalement mythique ? Selon les Ecritures, la création, qu’elle fût immédiate ou médiate, fut l’effet de la seule Parole de Dieu opérant de façon transcendante ; selon les Ecritures, la création fut achevée au septième jour et, ensuite jusqu’à aujourd’hui, elle a été conservée par la Parole de Dieu opérant de façon immanente dans des processus naturels, non créateurs, accessibles à nos investigations scientifiques.

Il nous semble, en conclusion, que cet ouvrage ne peut que laisser le lecteur désorienté, du fait d’une recherche impossible de compatibilité des opposés et des inévitables contradictions et confusions qu’elle entraîne. Il n’atteint donc pas son but de lui fournir des « repères bibliques et scientifiques ». Il pourrait dès lors plutôt inspirer au lecteur quelque scepticisme à la fois envers l’Ecriture et envers la science. Un scepticisme qui se dissiperait toutefois s’il devenait clair que la question des origines n’est pas et ne peut pas être du ressort de la science qui, en revanche, a beaucoup découvert « à scruter, à comprendre ce monde créé, la manière dont il fonctionne, de l’infiniment grand à l’infiniment petit ». Et la confiance en l’Ecriture redeviendrait entière dès qu’il serait clair qu’elle peut seule révéler les origines, parce qu’elles sont surnaturelles. Tout cela est rationnel (qualificatif qui échappe aux limites de l’autre qualificatif, scientifique, avec lequel il ne doit pas être confondu).

Finalement, le seul vrai obstacle à la foi réside dans la crucifixion expiatoire du Seigneur Jésus-Christ. Elle est un scandale pour les uns ou une folie pour les autres, aussi longtemps que le Saint-Esprit n’a pas convaincu les uns et les autres qu’elle révèle de Dieu quelque chose qui met le comble à sa puissance, à sa sagesse, à sa gloire – toutes trois révélées par la création surnaturelle de l’univers et par sa conservation providentielle qui font l’une et l’autre que nous sommes vivants – : son amour saint pour nous.