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Par Dominique Tassot

Création, Bible et Science de Jean-Marc Berthoud Éditions l'Age d'Homme - Collection : " Messages", 420 pages environ.

Témoignage sur la Parole créatrice

Création, Bible et Science, de Jean-Marc Berthoud, ouvrage imposant (420 pages), est en réalité pluriel, comme on disait en grec ta Biblia pour désigner ce que nous appelons au singulier la Bible. Plutôt que d’un seul livre traitant d’un sujet, il s’agit d’une ample synthèse, de l’exposé structuré (et structurant) de toute une vision du monde, biblique et chrétienne.

A ce titre, il constituera un outil pédagogique de grande valeur pour ceux qui seraient tentés un jour de rompre avec les mythes cosmologiques d’aujourd’hui (notamment le big bang et l’Evolution) pour accepter en confiance le témoignage même de la Parole créatrice. La science moderne, réduite à étudier l’action de causes secondes sur des phénomènes qui se déroulent dans le temps, restera à jamais incapable de quelque discours sensé que ce soit concernant l’origine des choses et des êtres. La Création, en effet est un acte de la Cause première, laquelle n’est pas contrainte par le temps, puisqu’elle crée aussi le temps. Tandis que la Bible, si on renoue, comme le fait l’auteur, avec la tradition qui la lit comme un livre inspiré en toutes ses parties, nous apporte le propre témoignage de l’Etre qui est l’origine de tout. Selon le mot de l’Apôtre (cité p. 20) « ce qu’on voit ne provient pas de ce qui est visible » si bien que « c’est par la foi que nous comprenons que l’univers (kosmos) a été formé par la Parole de Dieu » (He 11,3).

Prenant ainsi le contre-pied de l’anthropocentrisme et du naturalisme contemporains, J.-M. Berthoud se réfère donc systématiquement à la Bible, aux règles qu’elle établit, aux distinctions qu’elle opère, pour éclairer toutes les questions présentes, considérant que la Parole créatrice est pertinente et peut être citée dans tout contexte, notamment dans les enjeux de société. Ainsi au nominalisme de la « famille » occidentale post-chrétienne, il oppose la mission posée par Dieu dès le commencement qui fait de cette cellule autosuffisante le fondement réel de toute société, même si le droit positif feint de l’ignorer. De profondes considérations sur les rôles respectifs de l’homme et de la femme sont ici dé- duites d’un remarquable commentaire de la création d’Eve à partir du côté d’Adam (ch. VI). On trouve dans ce chapitre un bon exemple — et c’est peut-être ici une force de la religion de l’auteur — de toutes les richesses que peut amener au jour un décryptage confiant du sens littéral de l’Ecriture, mais lue à l’écoute de grands commentateurs, notamment Umberto Cassuto, de l’Université hébraïque de Jérusalem, cité à huit reprises. Car l’auteur fait œuvre « transversale », ne cherchant pas à opposer les différentes confessions mais distinguant, au sein de chacune, la « foi chrétienne historique » et la « version travestie moderne » (p. 139). Il s’agit bien d’un calviniste convaincu, mais n’hésitant pas à citer saint Thomas d’Aquin (23 références), Pie X (2 fois), ou Pie XII (7 fois) dès lors qu’il remarque chez eux cette confiance dans le témoignage apostolique ou bien encore cette « épistémologie réaliste » (p. 140) qu’il considère comme parties intrinsèques de la foi chrétienne. L’hypothèse Dieu, concernant la question des origines, garde toujours sa force et sa pertinence : tel est le premier message que lance Jean-Marc Berthoud.

Il en est plusieurs autres, presque aussi importants, car cet ouvrage ras- semble des articles, conférences et prédications données durant vingt-cinq ans au sein de l’Eglise réformée. Quel intérêt, alors, pour les lecteurs de Catholica, est-on tenté de dire ? Mais il est un domaine peu fréquenté depuis un demi-siècle dans lequel les frontières d’Eglises s’effacent pour ne laisser paraître que les traits fondamentaux du christianisme : ce domaine est l’apologétique liée à la vision biblique du monde.

Car, drapée sous le manteau de « la science », une vision naturaliste du monde s’est emparée de nos esprits ; elle les structure et les domine, ne laissant au christianisme qu’un strapontin de « coach » pour remédier aux inquiétudes de notre psyché. En remettant la science à sa juste place, et en restituant à l’Ecriture sa portée cosmique, Jean-Marc Berthoud rend donc service à tous ceux qui ont soif d’un christianisme authentique, c’est-à-dire recteur de nos pensées, de notre cosmologie comme de notre anthropologie, et plus seulement compagnon de nos sentiments.

Le sous-titre : « Les fondements de la métaphysique, l’œuvre créatrice divine et l’ordre cosmique », montre bien que nous ne sommes pas ici dans la diplomatie d’un « œcuménisme des congrès ». Il ne s’agit pas non plus seulement d’une érudite compilation, même si l’index de près de 900 noms cités en impose ! C’est l’œuvre d’un prédicateur convaincu.

Sur les 430 références bibliques, balayant presque tous les livres de la Bible à l’exception des Rois et de la plupart des « petits prophètes », plus d’un tiers concernent les neuf premiers chapitres de la Genèse, signe d’un ancrage de toute la pensée sur l’intelligence de la Création. Ce livre de la Genèse, l’auteur en aime le sens littéral, ce qui l’établit d’emblée hors du mythe évolutionniste. Dès la préface, évoquant le « repos de Dieu » au 7e jour, il précise : « Dieu ne créera plus de formes nouvelles ». Il n’hésite pas (p. 17) à qualifier en bloc l’évolutionnisme théiste de « panthéisme matérialiste ».

On ne peut que l’approuver lorsqu’il dénonce le kantisme qui sépare chez beaucoup de théologiens le domaine objectif (abandonné aux sciences) et celui, subjectif mais porteur de sens, du religieux. « Des théologiens comme Karl Barth (et il est loin d’être le seul) ont tout simplement capitulé devant les prétentions culturellement et épistémologiquement impérialistes des méthodes des sciences mathématiques et expérimentales modernes » (p. 19). A l’inverse, c’est la foi en la Bible qui donne « l’intelligence des origines » (p. 21). Armé de cette grille de lecture, l’auteur passe en revue en une centaine de pages ce qu’on pourrait appeler la « préhistoire biblique » depuis Adam jusqu’à Noé. Signalons ici des pages remarquables sur la création d’Eve (pp. 103-114), point d’ailleurs très fermement défini par le Magistère catholique, mais bien négligé au moment même où nous passons pour vivre une époque « féministe». Est rappelé le congrès organisé à Paris en 1976, par Evelyne Sullerot, alors féministe engagée, pour le Centre de Royaumont pour une Science de l’Homme, afin de justifier l’égalitarisme féminin. Or toutes les contributions montrèrent « la différence créationnelle irréductible entre l’homme et la femme, si bien qu’Evelyne Sullerot eut le courage d’accepter la leçon : elle devint le défenseur résolu de la famille traditionnelle » (p. 109). Risquons un commentaire : le vrai féminisme entendu comme valorisant le rôle de la femme devrait exalter la maternité, comme le faisait Tertullien en montrant combien Dieu est une « mère » pour chacun de nous ! On notera d’ailleurs que le seul animal auquel se compare Jésus-Christ est la poule rassemblant ses poussins (Mt 23, 37).

Lire Jean-Marc Berthoud présente donc une difficulté singulière aujourd’hui : nous sommes, avec lui, dans une anthropologie biblique trop simple et trop profonde à la fois pour être goûtée sans une cure de désintoxication préalable. Mais justement, un ouvrage tel que celui-ci va contribuer à une telle cure. C’est du moins le vœu que nous formons tant cette conversion des esprits, ce retour à la vision biblique du monde, nous semble opportun, vital et désirable. On lui pardonnera donc volontiers des néologismes discutables tels que « allianciel » ! Plus qu’un simple livre, il s’agit de l’œuvre d’une vie entière où se condense un quart de siècle des réflexions de l’infatigable animateur de l’Association vaudoise des Parents chrétiens. Signalons encore une riche bibliographie (22 pages), classée par thèmes, qui rendra de grands services aux chercheurs.

DOMINIQUE TASSOT

Référence : Dominique Tassot, "Témoignage sur la Parole créatrice", article paru dans CATHOLICA, été 2009.